Chain of fools...

Publié le par Lessaim


I. I got you babe
II. What goes around

Résumé des épisodes précédents
H., une actrice célèbre, engage un détective privé, un certain J., parce que quelqu’un se fait passer pour elle. J. mène l’enquête et tombe sur un sosie de H., une certaine M. Mais M. semble innocente. J. s’aperçoit alors que H. est schizophrène. Il tente de lui faire entendre raison (« personne ne se fait passer pour toi ») ; elle le fait mettre en prison, en l’accusant de viol.

III

C’est bien moi. Juste là, en une du journal. Le coupable idéal, avec la panoplie parfaite : bouche pincée et les yeux plissés. Les traits tirés à quatre épingles vaudoues, j’ai l’air à l’étroit dans mon froc, ou de m’être fait dessus, tout un programme. Facile de vendre un scoop en vous refilant la gueule de l’emploi. Je suis mal rasé, énervé et aveuglé par ce flash à la con qui me donne l’air d’un revenant qui n’en revient toujours pas. Ça colle parfaitement avec le titre : « Mon violeur » déclare H. Toujours se méfier des schizophrènes quand ce sont des femmes : y’a un coefficient de nuisance qui frôle celui de la malaria. Une voix résonne dans la cellule :
- T’es pas photogénique.
Cette voix…Je me retourne. C’est M. Elle regarde le journal. « Non, t’as vraiment une sale tête… ». Je ricane :
- Les menottes, ça me flatte pas le teint.
- T’as pas essayé les miennes.
- Question de point de vue.
- Pardon ?
- La H. qui m’accuse de viol n’avait pas de suçon.
- Et alors ?
- Qui me dit que c’était pas toi ?
- Les seuls barreaux qui m’intéressent sont ceux de mon lit – si j’avais voulu te voir derrière, je ne serais pas passé par la force publique.
- Ah ? Ton cul n’est pas une force publique? On m’a mal renseigné…
- Si t’es désagréable, je me tire.
- Qu’est-ce que t’es venue faire ici ?
Elle se penche vers moi. Elle a ce côté reptilien fascinant qui fait fondre le gnou dans la gueule du crocodile. C’est une bête à sang chaud, pourtant – et faudra bien que je fasse gaffe à ne pas m’y brûler. Elle sourit, et puis, sûre d’elle :
- Je te propose quelque chose.
- Pour une fois que l’homme dispose…
- Tu disposes de rien du tout, t’es en taule !
- Bon… j’écoute…
- Je paye ta caution.
- Pourquoi ?
- Tu m’aides à supprimer H.
- Ben voyons…
- Un procès pour viol te pend au cul !
- Je suis en taule, ma douce – si j’avais que le procès au cul, ça ne m’empêcherait pas de dormir.
- Justement. Je te fais sortir de taule. Tu te débarrasses de H. Je prends sa place. Et, vu que je serais elle, je retire la plainte pour viol.
- Pas de procès !
- Exact.
Hum… C’est tentant. Mais… Une chose me chiffonne… Pas de suçon. Rha… C’est M. ou H. qui m’a envoyé en taule ? Après tout : H. n’avait aucun intérêt à le faire, vu que je bosse pour elle. Et M. a tout à gagner, dans cette histoire : elle se crée une passerelle vers la gloire, en marchant sur la vengeance d’un homme – la mienne, en l’occurrence. Laquelle des deux m’a fait un orphelinat dans le dos ? Bordel ! Pour démêler tout ça, faudrait que je sois dehors ! La solution, M. vient me l’offrir sur un plateau. Juste à côté de la corne d’abondance à l’embrouille, trône le sésame, à prendre ou à laisser… Je soupire.
- C’est bon. Sors-moi de là.
Elle sourit. De toute façon, ça fait un bail que j’ai accepté de vendre mon âme aux diablesses...



Libre, enfin ! Deux salopes pour le prix d’une : dans cette ville, ça vous mène droit en cage – je mettrai ça, sur ma tombe. Une épitaphe à l’attention des générations futures. Qu’elles disent pas qu’on les aura pas prévenues… Je me rends chez H. Elle habite l’une de ces demeures indécentes à force d’espace ; le commun s’y perd même dans les toilettes. J’ai dit « le commun » pour ne pas dire « le vulgaire », vu que tout l’est ici – du parquet jusqu’aux fenêtres. Tout est vulgaire, sauf elle. H. Je la soupçonne d’habiter là-dedans pour se mettre en valeur.
- J. Vous êtes sorti ?
- Quelqu’un a payé ma caution…
- M., je suppose.
- Comment vous le savez ?
- C’est logique. Et elle vous a proposé de m’assassiner pour prendre ma place.
Alors, ça… Comment elle le sait ? Toutes les garces de cette planète se partagent le même cerveau ou c’est juste la cruauté qui se démocratise ? Je dois faire une tête suffisamment menaçante, vu qu’elle daigne s’expliquer :
- Comment je le sais ? Je vous ai envoyé en taule pour faire sortir le loup des bois. Je comptais payer votre caution.
- Ben, voyons…
- Je suis schizophrène, mais je me maîtrise.
- Je suis tout à fait normal et je me maîtrise de moins en moins.
Je la gifle. On est déjà au chapitre III, et je me dis que ça manque de baffes. Ses cheveux voltigent dans une explosion de musc et d’agrumes. Les salopes sentent bon, c’est comme ça. Du moins, celles que je fréquente. De toute façon, celles qui puent ne restent pas longtemps des salopes. Ça aussi je le marquerai sur ma tombe. H. me foudroie du regard :
- T’es calmé ?
- Oui. Ok… je t’écoute.
- Bon… Je devais relancer ma carrière. Il me fallait un bon coup de pub.
- Et ?
- Ta tentative de viol est tombé à point – elle couronne les apparitions de mon « imitatrice»….
- Sauf qu’il n’y a pas d’imitatrice.
Des claques se perdent. Et tandis que je cherche une troisième épitaphe, H. me remonte son genou dans les couilles. Je m’affale sur le tapis. Elle se recoiffe :
- J’ai horreur qu’on me gifle.
- Et le suçon ?
- Non, ça… ça va.
- Le suçon ! Bordel ! Comment ça se fait qu’il n’est pas là ?
- Tu devines pas ?
J’ai des envies de me déchaîner sur elle. De l’entraver - chacun son tour - et de lui faire passer l’envie de me les briser. Va falloir qu’elle répare les dégâts. J’attrape ses mains, je me les colle au paquet. H. se libère de ma prise, entreprend de s’allonger sur le canapé, elle me tourne le dos. A ce moment précis, je ne sais plus si c’est sa chute de reins ou ses coups bas qui me font vaciller. Je me traîne jusqu’à elle et la plaque à genou sur le sofa. J’enroule un bras autour d’elle, libère sa nuque d’une main pour la goûter de ma bouche, tandis que l’autre se faufile jusqu’à sa culotte. Elle tremble, se retient d’une main vissée au mur, sa respiration accélère. Ça me rend d’autant plus dingue que plus je la veux et plus j’ai mal. Finalement, elle se retourne et m’embrasse, profondément, très profondément. Elle se redresse et ses yeux impassibles s’accompagnent d’un sourire de squale qui a flairé le sang… Le sang… Je reste figé. Et merde, c’est le moment de tirer les choses au clair- façon de parler. J’arrache ses vêtements, je la ramène sur moi, et je dégaine en me frayant un passage jusqu’à son sexe. Elle est froide… Je vois… Elle est humide à l’intérieur, mais sur sa peau, mes mains glissent comme une procession de pingouins sur la banquise. Et là, je comprends :
- Le suçon…
- Quoi, le suçon ?
- T’es une bête à sang froid. Impossible à marquer.
Quelque chose passe dans son regard. Le rouge lui monte aux joues. Sa température prend du cran. La femme de glace se métamorphose sous mes yeux en éplorée, l’air de rien. Sa tête vacille en arrière, offerte. Et je vois le suçon réapparaître… Dans mes bras, la femme incandescente a remplacé la salope reptilienne et sournoise. Dommage : le drapeau noir flotte toujours sur mes couilles. Je laisse H. sur le canapé. Elle me regarde, perplexe : son cul n’a pas l’habitude d’être boudé – elle remballe son cœur, visage fermé. J’attrape une bouteille, et je dis :
- Je veux que tu m’innocentes de la tentative de viol…
Elle se love dans les coussins, mordille une mèche pour faire érotique :
- C’est ce que je comptais faire. Mais… A une condition.
- Laquelle ?
- Il n’y a pas d’imitatrice. Mais tu m’as trouvé un sosie…
- Et tu veux lui faire porter le chapeau ?
- Oui.

...

Me voilà donc entre deux assassines. Chacune a le pouvoir de m’éviter la taule – en m’ouvrant les portes de l’Enfer.
H. se lève, me prend la bouteille des mains et l’incline jusqu’à sa bouche. Elle avale lentement, les yeux mi-clos. L’Enfer. La taule. Mon cœur balance. Survivre en taule implique l’Enfer. Je crois pas au diable, mais… Ce qu’on appelle la damnation, et son cortège de poisse, oui : j’ai vu suffisamment de meurtriers dans ma vie pour savoir qu’on trimbale ses flammes avec soi…
Je tente de foudroyer H. du regard :
- J’aime pas me sentir contraint.
- Ça tombe bien : j’ai pas le souvenir d’avoir fait ça pour te plaire.
Non, je crois pas aux cornes du diable, juste à celles qui me poussent sur le front : on est cocu de deux cents manières et celle-là ne me plait pas. Pas de doute : je suis le gril. L’instant a quelque chose de saharien. J’ai du papier de verre au fond de la gorge. Des bédouins prennent le quart sur mes gencives – j’avance en plein mirage, c’est pas possible ! Mais, non! Que dis-je ! Le mirage vous brise le cœur en vous brouillant les yeux ! La réalité, elle, est plus vacharde.
- Et comment tu comptes t’y prendre ?
Elle me regarde, amusée. Et puis :
- Comment ça ? Pour liquider M. ? C’est ton boulot, chéri.…
Elle me contourne, et regarde au dehors. Elle glisse une cigarette dans sa bouche – à peu près à l’endroit où je rêve de tasser le guéridon à grands coups de pompes –, l’allume et aspire une grande bouffée.
Les volutes qu’elle forme avec ses lèvres se pressent contre le carreau, comme pour s’enfuir loin. Elles et moi on est un peu dans le même état, on cherche des échappatoires, en vain...
Je baisse la tête – déjà vaincu :
- Et pour m’innocenter ?
- Tu vas être obligé de me faire confiance.
- Hum… Non.
- Bon… J’avais prévu le truc. J’ai rédigé une lettre. Elle sera chez mon notaire. En cas de succès…
Tu parles, Chez le notaire ou chez le boucher, quelle différence ?
H. se colle à moi :
- J. ! Tue-la pour moi !
La voilà qui me refait le coup de la flûte enchantée et des yeux implorants…
La garce à sang froid passe le relais à la fragile. Elle ne me toise plus, elle sourit, mélancolique, embrassante, elle m’enlace pour de bon :
- Tu vas le faire, hein, dis, promets que tu vas le faire…
Je la soulève et je lui demande où se trouve son lit. Y’en a qui me croient pas quand je dis que j’ai une bonne nature. Au fond, je peux pas leur en vouloir, je ne sais vraiment pas raconter les malheurs de la Vie braguette fermée.


A suivre…

Publié dans Co Ecrits

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S
à force de repousser la lecture de ce chapitre à un moment le plus propice qui soit, j'avais fini par l'oublier :(<br /> quel con !<br /> <br /> c'est vraiment génial, sincèrement.<br /> Faites-en quelque chose, après, ne le laissez pas s'étioler sur un blog (trop peu fréquenté au vu du talent qui y sévit, mais bon... )
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M
J'attends la suite... impatiente.
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A
Je l'avais déjà lu sur le blog de Jérôme. Mais comme je passais par là, j'ai refait une petite lecture. J'adore, vraiment. Manque juste la superbe illustration qu'il y a sur l'autre blog. Y a beaucoup de paresseux quand même sur overblog, parce que plus il y de texte et moins y a de commentaires à la fin. Et ici ce n'est pas le manque de qualité qui explique la chose...
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H
Soulagée Rillette?!<br /> Bientôt la fin de ton agonie...
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J
Histoire en 4 chapitres - vous êtes prévenus...
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