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Publié le par Lessaim




Résumé des épisodes précédents
Tout s’est déroulé dans un déchaînement de sexe et de violence… H., une actrice célèbre, engage un détective privé, un certain J., parce que quelqu’un se fait passer pour elle. J. mène l’enquête et tombe sur un sosie de H., une certaine M. C'est une garce d’anthologie, mais elle n’imite personne.
J. s’aperçoit alors que H. est schizophrène. Il tente de lui faire entendre raison (« personne ne se fait passer pour toi ») ; elle le fait mettre en prison, en l’accusant de viol. Qu’est-ce que tout ça signifie ?
Alors… En fait, la carrière d’H. est en perte de vitesse. Et H. a tenté de se faire de la pub en s’inventant un double, une imitatrice.Vous voyez, c’est simple. Et en plus d’être simple, c’est machiavélique : maintenant que sa pub est faite, H. veut « couronner » l’ensemble et clore l’affaire : faire arrêter son « imitatrice », M.
Mieux : la tuer. Elle propose à J. de l’innocenter pour la tentative de viol – à condition qu’il se charge de la besogne. Dans le même temps, M. propose à J. de faire disparaître H. : elle prendrait alors sa place, et l’innocenterait du viol. En gros : J. est pris au piège entre deux assassines.



IV


Puisque H. attend que je prenne les devants, je lui dévoile le plan :
- On fait venir M. chez toi, et t’appelles les flics quand elle s’introduit ici…
- Elle va dire que tu l’as convoquée….
- Elle va rien dire du tout, puisque tu vas l’abattre. Enfin, moi… Officieusement, t’auras tiré sur un… sur un rôdeur. C’est tout. Légitime défense. Et comme tout le monde sait que quelqu’un se fait passer pour toi…
- Ça ne surprendra personne !
- Voilà…
Résonne dans l’ombre le battement régulier d’une grosse horloge comtoise, un truc austère en forme de tombe, bien massif, et bien fait pour inspirer la trouille – chaque seconde s’égrène avec solennité ; c’est très loin de l’agnosticisme bon enfant de ma montre à quartz.
H. plisse les yeux :
- Et comment tu vas t’y prendre pour la faire venir ici sans qu’elle se méfie ?
- Ça, c’est mon boulot chérie…
- Si tu cherches à m’entourlouper…
- Je peux pas.
- Si. Tu peux. Alors sache qu’il y a deux lettres, dans le coffre de l’étude : une qui t’accuses et une qui t’innocente… J’ai un code, pour le notaire. Des fois que l’idée te vienne de me buter moi – et de mettre ta copine M. à la place…
H. a décidément tout prévu.
Ce qu’elle ne sait pas, c’est que… Moi aussi.




Devant la porte de M., j’inspire à m’en faire éclater les poumons – second round. Elle m’ouvre, apprêtée comme une ado qui va passer pour la première fois à la casserole. Les miennes, de casseroles, me collent au cul, et je m’apprête à jouer mon va-tout. M. me fusille du regard :
- J’ai failli attendre !
- Moi aussi, ça va, merci…T’as bonne mine.
- Pas toi, vraiment, tu devrais prendre du repos.
Ne pas relever. J’ai supporté bien pire. Mes nerfs, je les lâche plus. Ce qui me retient ? La soif d’en finir.
M. m’attrape, claque la porte, et me regarde, inquisitrice. Elle a toujours un peloton dans le regard :
- Alors ?
- J’ai un plan…
M. me fait signe de m’asseoir sur le tas de skaï rouge qui lui sert de sofa. Je la baiserais bien sans attendre, mais la perspective de la taule me rend pudibond.
Je prends le verre qu’elle me tend. Je sens d’abord… C’est bien du whisky, je trempe mes lèvres. Et pas dégueu en plus.
- Il est pas mal…
- Le plan, J. !
- Je vais exaucer tes rêveries de princesse. Pour ça, tu viens avec moi chez H.  On la tue, tu prends sa place – et on dit que c’est « l’imitatrice » qui est venue chez toi !
- Et comment tu fais disparaître M. ?
- Tu parles déjà comme si t’étais H. !
- Des années d’entraînement… Donc ?
- Eh ben… débrouille-toi pour informer que tu te barres loin, tu quittes le pays…
- Sous quel prétexte ?
- Vivre dans l’ombre de H. ne t’excite plus. Tu laisses une lettre, on la bute, et tout le monde est content.
M. est limite attendrissante, elle a les yeux qui brillent de se voir à deux doigts de la victoire. Elle va quitter l’ombre pour la lumière. Et puis quelque chose passe, pas souriant – M. tique. Elle a cette prudence des femmes qu’on a souvent doublées. Elle me foudroie :
- Elle a pu te promettre de t’innocenter si tu me balançais comme… « l’imitatrice »…
Je vide mon verre. Et puis :
- C’est vrai. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait…
- Et ?
- Et c’est pour ça que je peux t’amener chez elle sans problème.
-…
- Tu vas devoir me faire confiance : cette salope va l’avoir dans l’os.
- J’ai pas de garanties, quoi !
- Seulement mon envie de vengeance.



J’entre chez H. avec M. sur mes talons. Je passe par la grande porte en chêne avec le carillon vert rigolo, qui tintinnabule comme une veilleuse pour enfant. Ça fait conte de fée, c’est parfait : je nage dans la féerie, j’ai des enluminures plein la tronche.
M. et H. s’en aperçoivent au même moment : elles se méfient d’instinct des hommes heureux – elles se sentent diminuées.
Elles se regardent, perplexes. Chacune attend que je bute l’autre : moi, je vais me servir un petit cognac, un 12 ans d’âge, ambré, beau comme un rêve. Alors elles me fusillent du regard – jamais vu autant de méfiance et de colère dans une seule paire d’yeux. Je dis une seule paire, parce qu’elles ont les mêmes : regard glacial, égoïste, mensonger… tout à fait merdique, fielleux jusqu’aux cils, un vrai charnier…
Je vide mon verre, histoire de me donner un petit coup de chaud, l’impulsion salvatrice ; l’appel mordoré de l’alcool accompagne déjà les trompettes – j’attrape H. et lui plaque sur le museau un mouchoir imbibé de chloroforme.
Elle s’affaisse pas gracieuse, pas du tout diva terrassée.
M. sourit, mais jaune :
- J’ai douté de toi…
- Pourquoi ?
- J’ai cru que tu voulais me doubler…
Je déshabille H. et refile ses fringues à M.
Elle les revêt ; elle est prête à prendre la place qui lui revient.
Et maintenant ?
M. me regarde. Elle attend que je tue H. en bonne et due forme, que je la fasse passer, elle, pour une rôdeuse, la fameuse imitatrice…
Je lui demande de me suivre au 1er étage, elle se méfie pas, elle jubile. Elle pense sûrement qu’elle va enfin me faire goûter à ses menottes. En cours de route, je lui jette un solide coup de pompe dans le ventre. Elle décolle, elle se vrille, elle dévale les escaliers sur la nuque et sur le cul.
Je m’allume une clope et je redescends. Je lui tâte le pouls. Y’a plus rien à tâter. Parfait.
J’agrippe H., toujours dans le coaltar, et je sors de cette foutue baraque.


EPILOGUE


H. se redresse. Elle me voit devant elle ; elle cligne des yeux, petite fille au réveil ; le désarroi se perd dans ses cils, juste entre la colère et la perplexité. Elle a un haut-le-cœur et me crache un peu sur les pompes – le chloroforme, sans doute. Et puis :
- Qu’est-ce que je fais là ?
Je lui jette les journaux d’une main magnanime. Elle regarde, avide. Avide, mais silencieuse. Elle devine l’entourloupe. Elle ne sait pas encore les termes du contrat et veut pouvoir abattre ses cartes en connaissance de cause.
Hélas pour elle – elle est morte, et je vais prendre mon pied à lui apprendre la nouvelle.
Elle doit bien s’en douter. Mais on refuse toujours l’évidence.
Son silence me comble. Il comble surtout mon ego à qui je viens de payer le luxe du repos -finalement c’est M. qui avait raison, c’est amplement mérité.
En attendant, elle fait la une. Elle en a toujours rêvé. Bon, on la soupçonne de meurtre. Mais… On ne peut pas tout avoir.
Pour l’occasion, les gros titres sont à peine moins putassiers que d’habitude : la tragédie se suffisant à elle-même, les journalistes s’offrent une cure de sobriété à peu de frais.
H. vient de mourir dans un terrible accident domestique, disent les plus scrupuleux et les moins informés.
H. a été poussée dans les escaliers, affirment les tout-venants.
Elle a été poussée par son « imitatrice », pronostiquent déjà l’ensemble des lecteurs, du moins ceux qui savent lire entre les lignes…
- Je suis morte…
- Oui.
- C’est moi, là…
- Oui. enfin… C’est M.
- M. ?
- Celle que tu es censée être maintenant : la meurtrière.
- Mais… je suis H. !
- Moi, je le sais. Mais à qui tu vas faire croire ça ?
- Salaud.
Salaud. C’est un peu faible du point de vue sémantique, mais je suppose qu’elle est sous le choc. Au naturel capable de débiter plus d’insanités qu’un mur de pissotière, elle se contente juste de répéter cette insulte moisie.
Je m’assieds en face d’elle :
- J’aimerais assez que tu me donnes le code qui va permettre au notaire de m’innocenter.
- Jamais.
- Allons…
- JAMAIS !
Je souris, ses répétitions sont pour moi plus jouissives que pathétiques. J’ouvre la porte d’entrée. Et puis je vais me rasseoir. H. cogite, ça va vite dans sa petite tête – j’entends crisser les méninges. Elle peut sortir, mais… elle sera traquée. Elle le devine d’instinct. Tout le monde va la prendre pour M. Même si elle nie, surtout si elle nie.
Elle me regarde les yeux mi-clos, esquisse un sourire charmeur ; elle va tenter la séduction :
- Je suis donc à ta merci…
- Oui.
Dis-je d’une voix d’un je-m’en-foutisme outrancier.
Elle vacille. Puis s’assombrit :
- Qu’est-ce qu’on fait, alors ?
Je m’allume un Davidoff. Je laisse au parfum bistre et poivré le temps d’assaisonner ma langue, puis je désigne le reste de l’appart’ d’un geste vague :
- Tu peux rester ici… Je peux t’aménager un « boudoir » à la cave… La salle de bain est là-bas… le frigo, ici…
H. se fige. Mon plan commence à lui planter des aiguilles un peu partout dans la cervelle à la poupée.
Comme j’ai la flemme de tendre le bras pour attraper le cendrier, je laisse les cendres se disperser sur le parquet:
- Personne ne croira que tu es H., vu que tu as fait toi-même un ramdam pas possible autour de ton « imitatrice»…
-…
- Par ailleurs, on va te suspecter de meurtre… Je te déconseille de sortir le jour…
-…
- Bien sûr, tu peux affronter la vie anonyme, partir loin où personne ne te connaîtra.
-…
Je la savais diaphane, mais la perspective de l’anonymat dans un bled paumé la rend quasiment translucide.
Je la regarde alors, frontal :
- Mais, moi… je suis le seul à savoir la vérité, H. : il n’y a que dans mes yeux que tu pourras retrouver l’image de l’actrice merveilleuse que tu es. Dans mes yeux – et dans mes yeux seulement.
-…
- Nous avons l’un pour l’autre une haine absolue, mais nous savons au moins qui nous sommes…
H. hésite. Elle regarde la porte. Juste là : la liberté.
Mais la vanité chez cette femme égale celle des rois. César a dit : il vaut mieux être N°1 dans une ville de province que N°2 à Rome.
Toute femme comprend ça. Les salopes plus que les autres.
H. sait que je suis le seul à savoir sa grandeur – et ça m’en donne à ses yeux.
Elle regarde vers le palier. Et puis, nimbée de silence comme un spectre vaincu – ce qu’elle est, d’ailleurs, sans faire de lyrisme facile pour le seul plaisir de m’entendre jubiler – H. va fermer la porte de mon appartement.
J’écrase mon cigare sur ma semelle. Le soleil et moi sommes au beau fixe.
H. revient, tête baissée. Moi, je me contente d’ouvrir ma braguette…
Je l’avais promis à M. : « crois-moi, elle va l’avoir dans l’os… »


FIN

Publié dans Co Ecrits

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M
je le redis ici: c'est brillant!
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S
Enfin je le lis !!<br /> <br /> bon bah que dire, sinon que c'est vraiment du travail de pro que vous nous avez livré là. Et encore, j'ai lu du pro qui avait tout à apprendre de vous deux.<br /> <br /> J'espère que vous saurez lui faire un petit frère et que sur la prochaine portée vous m'en mettrez un de côté !
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H
tin je suis toute excité comme une gosse préssé d'ouvrir son cadeau de noel...et jke suis pas déçu. La fin ets géniale, tordue et mérité...je vais m'imprimer les 4 chapitres et me les relires d'un coup...
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